Accueil > Les disciplines > Français > La découverte de l’étranger

La découverte de l’étranger

Découvrir l’étranger : celui qui est loin de nous et donc inconnu, mais aussi celui qui est inconnu parce qu’il cache un secret ou parce que sa culture, très différente de la nôtre, peut en faire à nos yeux quelqu’un d’étrange. Bien que la littérature de voyage vienne aussitôt à l’esprit, elle n’est donc pas le seul lieu où rencontrer l’étranger.
Le Tour du monde en 80 jours, roman bien connu de Jules Verne, semble tout indiqué, au vu de son titre, pour votre sujet. 80 jours, ni plus ni moins, voilà ce qui est accordé à l’Anglais Phileas Fogg, accompagné de son domestique Passepartout, pour faire le tour du monde, sous peine de perdre son pari. Egypte, Inde, Hong-Kong, Japon, Amérique du Nord, telles sont les étapes d’un voyage d’où Fog ramènera aussi... une épouse, veuve indienne qui allait se jeter sur le bûcher funéraire de son mari quand Fogg la secourut. L’étranger est très présent, et cependant de manière très stéréotypée (l’Anglais flegmatique et ponctuel, le Français débrouillard et blagueur, l’Américain efficace...). Il s’agit bien plus d’une traversée que d’une découverte.
Certains grands voyageurs ont laissé des écrits dont nous avons déjà parlé : le Journal de Bord de Christophe Colomb (1492-1493), le Journal du premier voyage de Vasco de Gama aux Indes (attribué à Alvaro Velho ; 1497-1499). Nous y avons ajouté cette fois le Livre des Merveilles ou Devisement du Monde de Marco Polo (1298 ou 99). Les voyageurs racontent leur étonnement et tentent de nommer l’inconnu : en comparant, en inventant des noms (notamment pour la topographie), en plaquant parfois des réalités européennes sur ce qu’ils ont du mal à comprendre, ou préfèrent ne pas comprendre ! Le mot "étranger" veut dire, dans son origine latine (extraneus), ce qui vient du dehors, ce qui est extérieur : on n’a pas toujours envie de le comprendre, mais au contraire, comme nous l’avions déjà vu dans notre séance dédiée à la renaissance, on commence parfois par vouloir le transformer d’emblée pour qu’il nous ressemble. Le puissant royaume du Japon, écrit en 1636 par François Caron, est moins un récit de voyage qu’une description et presque un manuel de géographie écrit par un Européen qui, attiré par le commerce puisqu’il travaillait pour la Compagnie Néerlandaise des Indes, passa vingt ans dans cette île lointaine et y prit femme. On mesure le manque de connaissances, même géographique, en lisant la première phrase : "Autant que nous le sachions, le Japon passe pour une île, mais on ne peut l’assurer parce qu’une grande partie du pays reste encore inconnue des Japonais eux-mêmes."
Le XVIIIe européen a été fasciné par la différence et moins convaincu que les siècles précédents de la supériorité de sa propre culture. Voltaire a fondé un bon nombre de ses contes philosophiques, comme Candide, sur un personnage naïf qui regarde comme étrangères les coutumes européennes, les tournant en ridicule ou exposant, par sa candeur, leur absurdité, pour inciter le lecteur à les remettre en question. Nous avons pris pour exemple Micromégas, cette histoire farfelue d’un habitant de Sirius, haut de 39km, qui voyage de planète en planète. Micromégas est un savant, et rencontre sur Saturne un autre savant, qu’il commence par mépriser car les Saturniens sont minuscules : 2km de hauteur seulement ! Ils visitent ensemble Jupiter, Mars,... avant d’arriver sur une petite planète qui semble inhabitée. Mais un chatouillis leur permet de détecter les Terriens : gens savants eux aussi, qui connaissent les lois physiques de l’univers et réfléchissent, ce qui prouve bien que la taille n’y fait rien ; hélas, leurs guerres incessantes prouvent leur manque de sagesse.
Cette découverte de l’espace qui permet de se découvrir soi-même et de réfléchir sur l’autre, nous a fait penser à un conte d’un autre temps : Le Petit Prince, de Saint-Exupéry. Le petit bonhomme blond vêtu de vert, avec son écharpe rouge, a quitté la minuscule planète qu’il devait régulièrement débarrasser de ses baobabs, et où une rose cruelle régnait en tyran sur son coeur, pour tomber sur Terre, dans le désert où l’aviateur qui raconte l’histoire était en panne. S’ensuit une amitié entre l’homme et l’étrange petit garçon, et un apprivoisement du renard par l’enfant. Découvrir l’autre prend du temps et expose notre coeur, comme les lecteurs ne l’apprennent que trop à la fin du livre.
Très contemporain, puisqu’il raconte l’histoire d’un Syrien qui doit fuir son pays, le roman graphique (comme une grosse bande dessinée !) L’Odyssée d’Hakim, de Fabien Toulmé, est paru cet été. Le tome 1 suit le départ d’Hakim De la Syrie à la Turquie.